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C'est pas mon idée !

mercredi 10 juillet 2019

Un étrange plaidoyer pour le cash

Deutsche Bank
Les paiements en espèces sont le dernier rempart contre la surveillance de masse et la marchandisation de nos moindres gestes ! Ce genre d'argument est souvent entendu de la part de citoyens inquiets, il surprend plus quand il émane d'une analyste de Deutsche Bank, même si l'Allemagne conserve une forte culture du cash… et de la protection de la vie privée (et des données personnelles).

Le raisonnement développé par Heike Mai est implacable, au moins dans ses prémisses. D'un côté, elle fait le constat de la généralisation des moyens de paiement électroniques, qui, pour beaucoup d'observateurs, nous mène à plus ou moins brève échéance vers la disparition de la monnaie fiduciaire. De l'autre, elle souligne le potentiel infini d'exploitation des données produites par les transactions réalisées à l'aide de ces instruments, dont les applications font rêver toutes sortes d'acteurs, bancaires ou autres.

Entre les deux, elle s'émeut des conséquences de ces tendances pour le respect de la vie privée, non seulement en tant que telles mais également en tant que facteur aggravant de rupture des équilibres économiques. En effet, le fait pour une entreprise de tout connaître de son client, grâce aux informations collectées au cours (et parfois en dehors) de leur relation commerciale, crée une dissymétrie de pouvoir permettant à la première de « manipuler » le second ou, à tout le moins, de limiter sa marge de manœuvre.

L'existence de réglementations défensives (dont le RGPD) et des restrictions telles que l'exigence d'obtenir l'accord de la personne avant toute utilisation de ses données personnelles ne changent rien à cet état de fait. Le marchand qui peut prédire le besoin de son chaland est automatiquement en position de force pour lui vendre son produit. C'est ainsi que, par exemple, les prix affichés sur certaines plates-formes de e-commerce peuvent désormais évoluer en fonction du visiteur et de son comportement en ligne.

Bien sûr, ce qui est décrit ici est le principe même du marketing, depuis que ce concept existe. Cependant la situation devient préoccupante aujourd'hui parce que l'explosion des données numériques autorise des ciblages (et donc des pressions) inimaginables auparavant (et peut-être aussi parce que les premières années d'Internet avaient donné l'impression que le consommateur allait reprendre l'avantage sur les marques).

DB Research – Cash empowers the individual through data protection

Selon Heike Mai, le retour aux règlements en espèces est le seul moyen de se prémunir de ce danger. Sans éliminer toutes les sources d'informations disponibles pour « profiler » les consommateurs, tellement nombreuses, l'anonymat qui régit ceux-là offre la garantie d'en supprimer une des plus importantes, des plus riches et des plus exhaustives dans l'arsenal dont disposent les professionnels. Le cash serait la solution à l'ascendant extravagant que prennent les grands groupes sur leurs clients.

Malheureusement, l'idée, aussi séduisante soit-elle en apparence, néglige un paramètre critique des pratiques de paiement contemporaines : les échanges commerciaux se dématérialisent toujours plus et l'instrument en métal ou en papier d'autre fois est totalement inadapté à ce nouveau monde de services et d'usages, d'immédiateté, de simplicité… Ce serait une utopie bien triste que de vouloir revenir aux méthodes de paiement d'un autre siècle pour échapper au diktat de l'analyse des données.

Il existe pourtant une autre piste susceptible de concilier les deux exigences contradictoires, qu'oublie d'évoquer Heike Mai : le bitcoin a été conçu à l'origine pour être une monnaie nativement numérique et assurant un niveau optimal de confidentialité, notamment vis-à-vis d'applications marketing. Plutôt que de regretter le passé, c'est bien dans cette direction qu'il faudrait se tourner afin d'éviter le scénario cauchemar (pour la vie privée) que représenterait potentiellement une initiative comme Libra.

Il est vrai qu'un autre genre d'obstacle se dressera sur la route de telles tentatives : les états, qui ont, eux aussi, un désir ardent de voir les transactions tracées dans tous leurs détails (d'abord à des fins de lutte contre la criminalité mais qui sait où se situent leurs limites ?). Profitant de l'aubaine de la transition vers les paiements électroniques, ils sont en mesure de pousser à la disparition du cash (en instaurant des plafonds sur les échanges…) et de bloquer les nouveaux modèles trop anonymes à leurs yeux… nous livrant, de facto, au pouvoir des maîtres de la donnée personnelle !

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